mercredi 4 avril 2012

Arrêtons d'exporter des sornettes

Le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, a donné un discours à la chambre de commerce de Waterloo lundi. Décortiquons le communiqué de presse publié à l'occasion du discours.

Waterloo (Ontario) - La stratégie économique globale adoptée par le Canada face à la crise financière mondiale a consisté à favoriser une croissance de la demande intérieure et à encourager les entreprises canadiennes à se moderniser et à se réorienter en fonction de la nouvelle économie mondiale, a déclaré le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, dans un discours prononcé aujourd’hui. « Sur le premier front, nous avons fait très bonne figure », a-t-il indiqué. Quant au deuxième volet de la stratégie, il a exhorté les entreprises à redoubler d’efforts.

« Si efficace qu’ait été le recours à la demande intérieure, en général, et aux dépenses des ménages, en particulier, les limites de ce modèle de croissance apparaissent de plus en plus clairement », a dit M. Carney à un groupe de gens d’affaires et de dirigeants locaux de la région de Kitchener-Waterloo.

Si les dépenses des ménages canadiens ont fortement augmenté ces dix dernières années, elles dépendent beaucoup plus des conditions de financement avantageuses et des niveaux élevés de l’avoir net depuis la crise. En conséquence, le fardeau de la dette des ménages a continué à s’alourdir et une bonne partie du financement des hausses récentes de l’endettement des ménages est provenu de l’étranger. « Ces tendances sont insoutenables à moyen terme », a affirmé le gouverneur.


Essentiellement, afin de faire croître l'économie canadienne dans la situation de crise économique mondiale que nous avons depuis 2008, le gouverneur nous présente deux stratégies majeures qui nous étaient disponibles: 1) que notre population (déjà fort endettée) achète plus de produits (surtout importés) et de services afin de faire augmenter le PIB canadien, ce qui nécessite un endettement accru de la population, et 2) exporter plus.

La première option en est à ses limites, car on peut voir qu'en février 2012, le taux annuel de croissance du crédit à la consommation (2,6%) n'est guère plus élevée que le taux d'inflation et a donc plafonné.

La deuxième option est beaucoup plus difficile à mettre à exécuter, et le communiqué ne nous dit pas c'est la raison pour laquelle le gouvernement conservateur a surtout misé la première option.

Par contre, la tenue des exportations canadiennes est plus faible que lors des reprises précédentes. « Les exportations n’ont toujours pas retrouvé leur sommet d’avant la crise et, de fait, restent en deçà de leur niveau d’il y a dix ans. La part du marché mondial détenue par le Canada n’a cessé de diminuer tout au long de cette période », a souligné M. Carney.

Bien que la compétitivité ait joué un rôle, la détérioration de la tenue des exportations canadiennes s’explique au premier chef par la faiblesse de nos principaux marchés d’exportations. « La surexposition au marché américain ainsi que la sous-exposition aux marchés émergents en forte expansion sont à l’origine de la presque totalité du nouveau recul de notre part du marché mondial ces dernières années », a expliqué le gouverneur.


Essentiellement, le fait que la grande majorité des exportations canadiennes vont aux États-Unis nous a rendus vulnérables à la faiblesse de l'économie américaine. Le gouverneur nous dit aussi que si le Canada exportait plus aux marchés émergents, le Canada n'aurait pas perdu autant de sa part mondiale des exportations.

Le communiqué n'aborde pas les raisons de la faible demande des économies établies, particulièrement la saturation des marchés en question (tout le monde a déjà deux ou trois voitures) et l'excès de crédit. Ces deux aspects affectent aussi le Canada.

Selon la Banque, les grands défis et les importantes possibilités qui se présentent aujourd’hui – la faible reprise aux États-Unis, la vive croissance dans les marchés émergents, les cours historiquement élevés des produits de base et la vigueur persistante du dollar canadien – sont appelés à demeurer. « Ce sont les économies émergentes qui offrent le plus de possibilités aux exportateurs canadiens », a ajouté M. Carney.


Ce paragraphe nous donne une des autres raisons pour la faiblesse des exportations: « la vigueur persistante du dollar canadien », sans expliquer que cela est dû aux « cours historiquement élevés des produits de base » et que le Canada est surtout encore vu comme un exportateur de ces produits de base, et que ces produits de base sont plus chers car ce sont des ressources souvent non-renouvelables dans une économie qui ne cesse d'en nécessité plus.

Le gouverneur a invité les entreprises à se recentrer en développant de nouveaux marchés et de nouveaux produits, à se réoutiller en investissant dans les usines, le matériel et les technologies de l’information et des communications et en élaborant de nouveaux processus, ainsi qu’à se renouveler en continuant d’investir dans notre plus grande ressource : nos gens.

M. Carney a déclaré que la situation économique au Canada a été légèrement plus solide et la marge de capacités excédentaires un peu moins élevée que la Banque ne l’entrevoyait. Même si les exportations nettes se sont quelque peu redressées, a-t-il précisé, elles ne devraient apporter qu’une contribution limitée à la croissance, compte tenu de la demande étrangère toujours faible et des défis qui continuent de se poser sur le plan de la compétitivité, en particulier la vigueur persistante du dollar canadien.


Et voici le point auquel le gouverneur se replie dans sa fonction d'économiste. Rappelons que cette discipline n'offre qu'une perspective comme étant celle qui doit être suivie à l'échelle mondiale, et son inflexibilité ne permet pas de discussion de solutions alternatives.

Les recommandations que nous donne M. Carney comporte plusieurs volets:
1) Développer des nouveau marchés: par cela, on veut surtout dire les marchés émergents comme la Chine, l'Inde, etc. Le problème est que ces marchés sont soit effectivement fermés ou trop peu abordables, par la présence de tarifs ou par le fait que l'on ne peut pas y faire compétition réelle à cause du manque de règles concernant la respect des travailleurs et de l'environnement.
2) Développer des nouveaux produits: cela est une option, mais certains de ces marchés émergents ne respectent pas la propriété intellectuelle des autres pays et deviennent ensuite des producteurs moins chers de produits équivalents. Penser au iPad et ses imitations.
3) « Se réoutiller en investissant dans les usines, le matériel et les technologies de l’information et des communications et en élaborant de nouveaux processus » signifie augmenter l'efficacité des processus afin de produire à plus bas coût. Cela peut se faire, bien que les investissements capitaux dans l'économie moderne doivent se faire très souvent pour se garder à jour, et donc ne se présente pas toujours comme une économie nette pour les coûts de production.
4) « Se renouveler en continuant d’investir dans notre plus grande ressource : nos gens » veut probablement dire dépenser plus d'argent à entraîner les travailleurs afin de pouvoir se concentrer sur #2 ci-haut.

Les solutions ci-haut ne sont pas des vraies solutions, car elles n'adressent pas la cause, le vrai problème:
Les économies de l'OCDE ont tout simplement trop de dettes, et les gouvernements refusent de forcer les faillites nécessaires afin d'éliminer les dettes impayables, une étape nécessaire pour redémarrer une économie normale. (Si les faillites avaient eu lieu, les banques et les riches investisseurs seraient le plus durement touchés, et puisque les riches sont effectivement en contrôle des gouvernements, ces derniers font payer le reste de la population en s'endettant pour sauver les banques.) La situation actuelle réduira inévitablement la demande mondiale pour tous les produits peu importe d'où ils viennent. Cela implique aussi que les économies émergentes, qui dépendent grandement de leurs exportations, perdront leur vigueur et il va sans dire que le protectionnisme déjà implanté serait rehaussé pour diminuer les impacts. Les membres de l'OCDE ne pourraient jamais gagner en compétitions avec les économies émergentes.

Il faut que le Canada cesse de dépendre des importations de produits à valeur ajouté surtout en échange d'exportations de matières primaires. Nous avons déjà perdu au moins 500 000 emplois de manufacture durant la dernière décennie, et cela ne cessera pas tant qu'on ne change pas l'approche générale. Il faut dire non au libre échange, et le remplacer par un échange juste. Il faut imposer les tarifs sur certaines importations comme il en a toujours été le cas avant. Il faut que ces tarifs favorisent la manufacture au Canada, pour que le Canada soit bien plus indépendant et que les événement négatifs globaux n'affecte pas de façon significative la disponibilité des produits au Canada. Il faut ramener les manufactures au Canada afin que l'on puisse manger canadien, s'habiller canadien et s'amuser canadien.

Ces mesures auraient un certain impact sur l'économie canadienne qui devrait se réajuster, mais nous permettraient de finalement ramener la richesse au Canada. Prenons le temps de se souvenir que pendant les années 50 et 60, une famille moyenne, avec un parent à la maison et plus de deux enfants, et un parent employé plein temps, pouvait vivre très confortablement et acheter une maison en quelques années.

Il est réaliste de dire que le Canada moderne peut bien revenir à sa richesse antérieure, si seulement les Canadiens exigeaient des changements de leur gouvernement.

P.S. Ce qui m'a tout de suite surpris en lisant le communiqué de presse, c'est ce qui manquait: ce que M. Carney et le ministre des finances Jim Flaherty ont répété si souvent, soit la nécessité d'augmenter la « productivité », c'est-à-dire augmenter le PIB par heure travaillée, ce qui revient à réduire les heures de travail ou la paye, sans réduire la vigueur de l'économie. Cela a, bien sûr, l'impact d'enrichir davantage les plus riches au dépens du reste de la population. M. Carney a-t-il laissé tomber son passé de chez Goldman Sachs pour revenir un peu à la réalité?