lundi 7 mai 2012

SCHL: temps de redéfinir « abordable »

Le marché canadien d'habitation a vu, durant la dernière année, une discussion sur l'existence d'une bulle immobilière; jusqu'à tout récemment, son existence avait été fermement niée.

Le 1er mai courant, le professeur en économie Kevin Milligan a dit ceci sur Twitter:
En tant que politicien d'opposition, j'accepte le défi en discutant l'abordabilité de l'habitation au Canada.

Un marché d'habitation en bulle (un croissance de prix excédant l'inflation de façon significative) n'a pas été chose unique dans les dernières décennies.  Toute bulle économique est due à une combinaison de facteurs dont plusieurs psychologiques.  Son ampleur est souvent exagérée par des interventions gouvernementales.

La SCHL avait été originalement créée pour aider à loger les soldats revenant de la deuxième guerre mondiale.  Son mandat a ensuite été élargi selon les besoins de l'époque.  Tout élargissement du mandat est le résultat d'un changement apporté par le Parlement.

Dans le cas de l'habitation au Canada, la dernière bulle immobilière avait éclaté il y a environ 20 ans.  Il y a ensuite eu un décennie calme, et après ça une décennie de croissance de prix au delà de l'inflation.

Rendu en 2006, le gouvernement conservateur a changé les règles de la SCHL pour permettre les hypothèques à zéro acompte et amortissements de 40 ans d'être garanties par la SCHL (sans quoi elles n'existeraient effectivement pas), avec comme excuse de permettre « l'innovation financière » et de permettre à certains de s'acheter une résidence alors qu'ils ne pourraient pas le faire sinon.  Pour le même paiement mensuel, un propriétaire peut alors acheter une maison plus chère.  On peut parler d'une augmentation de l'abordabilité, mais seulement de l'abordabilité du prix de vente, pas de l'abordabilité mensuelle.

Rendu en 2008 dans le début de la crise financière mondiale, le gouvernement réalise que le changement des règles introduites en 2006 n'étaient pas une tellement bonne idée, et les change donc à 5% d'acompte et 35 ans d'amortissement.  Cela a un impact assez rapide sur le marché immobilier de certaines villes dont Vancouver et les prix commencent à baisser.

Très peu de temps après, la Banque du Canada baisse son taux directeur à pratiquement son niveau le plus bas possible.  Cela donne une réduction presque équivalente des taux offerts pour les hypothèques et donc augmente de nouveau l'abordabilité.  La bulle redémarre dans des centres urbains comme Toronto et Vancouver.

Les changement de la SCHL en 2008 incluent aussi une augmentation la limite d'assurance à 600 milliards $.  L'assurance des hypothèques permet aux banques de ne porter aucun risque de défaut de paiement, et réduit donc les coûts d'emprunts pour la banque et, par extension, pour les emprunteurs.  Un taux d'intérêt plus bas augmente une fois de plus l'abordabilité.

Comme si tout le reste n'était pas suffisant, en 2008, la SCHL a aussi élargi le programme des Obligations hypothécaires du Canada (OHC) en introduisant les obligations à durée de 10 ans, afin de réduire davantage les coûts d'emprunts.

Rendu en 2012, les prix ont finalement atteint leur plafond à Vancouver, ou même des petits bungalows se vendaient bien au dessus d'un million $.  Même à Toronto, le bungalow acheté à 60% au dessus du prix d'achat par une étudiante universitaire externe a été ensuite mis à louer à un prix qui résulte en une perte après l'inflation.

Il est maintenant essentiellement trop tard pour permettre à la bulle de durer plus longtemps, et on peut s'attendre à ce que les prix reviennent plus raisonnable, même si cela prendra plusieurs années.

Je suis personnellement persuadé que le changement des mesures en 2006 et le fait qu'elles n'ont pas encore été resserrées à leur niveau original indique que ces changements avaient été fait pour plusieurs cibles politiques:
  1. pour un support électoral plus élevé si le gouvernement avait pu capitaliser sur les aspects positifs du changement des règles pendant une élection;
  2. pour augmenter la durée d'un marché immobilier positif, ce qui a aidé les revenus des agents immobiliers, des électeurs qui, selon leur profil financier bien plus positif que la moyenne des Canadiens, auraient typiquement eu plus tendance à voter Conservateur;
  3. pour augmenter les profits des prêteurs hypothécaires (généralement des banques) en augmentant le nombre d'hypothèques, des profits essentiellement sans risque car à cause de l'assurance hypothécaire de la SCHL.
Notons que chacun des points ci-haut sont pour le bénéfice d'un petit groupe de gens aux dépens du reste de la population.

Dans les bulles économiques, les prix augmentent sans cesse jusqu'à ce qu'ils ne soient plus abordables.    Dans le cas de l'habitation où les achats se font généralement par hypothèque, on ne parle pas de l'abordabilité du prix de vente mais bien sûr de l'abordabilité des paiements mensuels; ces paiements atteignent bientôt tout simplement leur niveau maximum pour trop de gens.

On voit donc que l'interférence politique sur le marché de l'habitation a exagéré les prix de vente et n'a aucunement permis de réduire de façon permanente les paiements mensuels.

Il est donc clair que cette interférence n'a eu que des effets négatifs pour la population en général, en augmentant l'endettement.

Je propose donc des changements pour ramener de l'ordre au marché canadien de l'habitation, en réduisant l'interférence gouvernementale.

Tout ceci ne requiert pas d'éliminer la SCHL, qui maintient d'autres rôles importants.

1) Il faut tout d'abord ramener l'amortissement à une durée plus raisonnable, une durée qui avait d'ailleurs été en place pendant bien longtemps: 25 ans.  Plus long que ça aide à peine les paiements mensuels mais ajoute beaucoup en paiements.

Considérant que les coûts associés à la vente d'une propriété (dont la commission) excèdent facilement 5%, il faut augmenter l'acompte à au moins 10% pour toutes les propriétés acquises.  Ce montant augmente le risque reposant sur l'acheteur et donc réduit les achats spéculatifs.  Il faut également rendre illégal les acomptes empruntés.

2) Il faut aussi que la SCHL cesse d'assurer les emprunts hypothécaires.  Il est inacceptable que les contribuables soient responsables du risque très réel de pertes dues à un grand nombre potentiel de propriétaires incapables de continuer leurs paiements.  S'il est impossible d'éliminer le besoin de cette assurance, il faut au moins la limiter à des prix d'achats à plafonds raisonnables, par exemple 150 000$.  Les gens qui achètent des maisons à 2 millions à Vancouver n'ont pas besoin que les contribuables participent à leurs achats.

Il pourrait être acceptable qu'un assureur indépendant (tel qu'il existe déjà) puisse assurer, mais seulement si une supervision adéquate est faite pour éviter que cet assureur fasse faillite même si un grand nombre d'hypothèques sont en défaut de paiement.

3) La SCHL vend des obligations nommées Obligations hypothécaires du Canada (OHC) pour acheter des hypothèques auprès des banques.  Puisque les hypothèques ainsi achetées sont garanties par la SCHL, le rendement des OHC n'est pas bien plus élevé que celui des obligations du gouvernement fédéral.  Les achats d'hypothèques permettent aux banques de réduire leurs coûts d'emprunt et par extension le coût emprunt pour les emprunteurs individuels.

Les OHC forment une extension de la protection apportée par l'assurance, et est devenue "vitale" après le début de la crise financière mondiale.  Cela est simplement ridicule.  Il faut que les banques soient contraintes à trouver leur propre financement pour les hypothèques, au lieu que les contribuables soient le principal recours pour le financement.  Cela implique cesser d'émettre des OHC dès que possible et de laisser les OHC existantes en arriver à maturation.  Cela réduit le financement que la SCHL doit obtenir auprès du gouvernement fédéral, et donc réduit aussi les émissions d'obligations du gouvernement fédéral et par extension ses coût d'emprunt.

L'assurance hypothécaire et les OHC permettent aux banques d'emprunter à un taux normalement réservé au gouvernement fédéral, et en passant ces taux favorables au emprunteurs, les taux payés par les emprunteurs ne correspondent plus au risque réel.

Si toutes ces mesures (réduction de la durée maximale de l'amortissement, augmentation de l'acompte, élimination de l'assurance hypothécaire gouvernementale et des obligations hypothécaires) sont mises en place, les emprunteurs verraient presque certainement une augmentation significative des coûts d'emprunts, visible surtout par une augmentation du taux d'intérêt.

Mais puisque l'abordabilité dépend surtout des paiements mensuels et non du prix de vente, les prix vu selon les paiements mensuels ne seront pas plus élevés, sauf pour ceux qui n'ont jamais eu le revenu nécessaires afin d'acheter une résidence.

Une fois le marché stabilisé après les ajustements nécessaires pour de tels changements de politique, cela n'implique pas une diminution du pouvoir d'achat dans la plupart des cas, car dû à la bulle immobilière, les résidences sont à des prix exagérés dans bien des villes canadiennes.  La valeur intrinsèque d'une maisons dépend du prix du terrain, des matériaux de construction et de la main d'œuvre.  Tout le reste d'un prix d'immobilier n'est en fait que valeur spéculative.  Cet écart de prix et de coût est la raison que des maisons ont été bâties en très grand nombre même loin en périphérie des grands centres urbains.

Changer les règles a d'autres avantages.  Les habitations qui ont un coût trop élevé (pensons aux « McMansions »), ou encore les résidences dont le prix de vente est trop élevé à cause de la distance des emplois, ne sont alors plus abordables et le changement des règles devient un choix écologique positif: les maisons sont plus petites et les terrains agricoles sacrifiés à l'habitations le sont en moins grand nombre.

La concentration des résidences dans un centre urbain plus compact a d'autres impacts positifs, dont un système de transport public plus utilisé, et donc nécessitant moins de subsides.

La réduction de l'endettement possible des ménages est négatif pour les banques mais positif pour les ménages, dont le bilan financier devrait ainsi démontrer un endettement réduit.

De plus, l'élimination des bulles immobilières introduira une stabilité accrue à l'économie réelle, c'est-à-dire celle qui affecte la majorité des gens, qui sont toujours les premiers perdants lors des récessions et rarement gagnants lors des reprises économiques.

Un gouvernement qui veut sérieusement se pencher sur l'amélioration de la santé du secteur de l'habitation au Canada doit obligatoirement considérer les propositions énoncées ici.

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