dimanche 12 janvier 2014

Impartition («outsourcing») et notre argent

Ce billet avait été rédigé en avril 2013 mais n'a pas été publié jusqu'à maintenant.

Ça ne fait même pas déjà deux semaines que CBC avait révélé que certains employés de la Banque royale du Canada n'étaient pas contents d'être remplacés par des travailleurs de l'extérieur du pays, et qu'ils n'allaient recevoir leur compensation s'ils refusaient d'enseigner toutes les connaissances à leurs remplaçants.

Ce cas est bien loin d'être le premier cas d'impartition (outsourcing) par les compagnies nord-américaines, un processus qui a commencé il y a bien des années afin de réduire les prix aux consommateurs, qui ont vu depuis les années 1970 la perte de leur pouvoir d'achats.

Ce n'est pas la première fois, non plus, que j'entends dire qu'un employé mis à pied doit enseigner la matière à ses successeurs.

RBC est aussi loin d'être la seule banque à profiter du processus: toutes les grandes banques le font.

Alors pourquoi a-t-il fallu attendre ce moment pour que les Canadiens se réveillent et que plus de 8000 gens sur Facebook suivent la page recommandant le boycott de RBC?

Bonne question.  Je pense que c'est un problème qui a dérangé la population depuis longtemps sans toutefois avoir l'impact nécessaire pour causer un vrai changement, et qu'il suffisait d'un cas suffisamment public auquel la population en général peut s'identifier pour que le mécontentement se fasse sentir.  Je suis personnellement content que les gens en parlent finalement.

Notons que je n'aborde pas la question de travailleurs temporaires venant de l'extérieur, ce qui est plutôt une question légale que morale.  J'essaie de me limiter au concept d'impartition surtout par les banques.

Quand il s'agit de perdre des emplois canadiens, je pense qu'il faudrait être particulièrement sévères contre les banques pour plusieurs raisons:

Les banques créent de la monnaie

Les banques canadiennes sont une catégorie spéciale de sociétés au Canada: comme l'ancien gouverneur de la Banque du Canada, Graham F. Towers, l'avait dit devant un comité au Parlement, les banques créent de la monnaie, légalement car le Parlement le permet.

Alors que la Banque du Canada (notre autorité monétaire canadienne, et une société à action entièrement détenue par le ministère des finances mais plus ou moins indépendante du gouvernement) a la responsabilité de gérer la monnaie canadienne, elle ne le fait surtout qu'indirectement: alors qu'une soixantaine de milliards de dollars en argent flottent dans notre économie, ce montant ne représente qu'environ 5% de la monnaie en circulation, car selon l'effet multiplicateur du crédit, les banques peuvent légalement émettre du crédit contre ses réserves, et ce crédit se dépense tout comme de l'argent, et ce crédit représente environ 95% de la base monétaire canadienne.

C'est la Loi sur les banques, dont le Parlement est responsable, qui permet aux banques de créer de la monnaie, et la Banque du Canada, avec son mandat de garder le taux d'inflation des prix à 2%, agit en conséquence.  Les outils de la Banque du Canada sont assez limités, car elle ne peut qu'intervenir indirectement en imposant un plafond et un plancher aux taux d'intérêts que les banques paient et reçoivent respectivement, ce qui a un impact à moyen terme sur la taille de la base monétaire.

Les faits ci-haut semblent peut-être sans importance, mais le contrôle de la base monétaire est encore plus important qu'une position de pouvoir au sein d'un gouvernement, au point que l'on attribue à Mayer Amschel Rothschild la phrase « Give me control of a nation's money supply, and I care not who makes its laws. » (« Donnez-moi le contrôle de la monnaie d'une nation, et il ne m'importera pas qui en fait les lois. ») ainsi qu'une fameuse Golden Rule (règle d'or): « Those with the gold make the rules. » (« Ceux qui possèdent l'or font les règles. »)

Dans leur rôle créateur de monnaie, les banques canadiennes ont un énorme pouvoir sur le gouvernement, et normalement avec un tel pouvoir viennent des responsabilités.  Au minimum, il devrait y avoir la responsabilité de n'employer que des Canadiens.

La maturation des économies avancées a causé la surfinancialisation

Alors que les économies avancées ont atteint, il y a une trentaine d'années, un plafond dans leur croissance économique réelle, l'exercice entamé par l'ancien président américain Reagan et l'ancienne première ministre britannique Thatcher a redémarré la croissance économique en faisant exploser la quantité de dette en changeant les règles des banques.  Cette nouvelle croissance économique a été financée par les dettes issues de la financialisation des actifs.  Ensuite, rendu vers 2007-2008, une limite a été atteinte et puisque les dettes ne pouvaient plus être remboursées, les marchés se sont écroulés pendant quelques mois avant que les banques centrales et les gouvernements soient intervenus afin de regonfler la bulle et de continuer le party pendant quelques années de plus.

Le résultat le plus important est que même les banques canadiennes ont bénéficié de l'aide de la Banque du Canada (dont les prises en pension spéciales allant jusqu'à 40 milliards $) ainsi que du Gouvernement du Canada (la SCHL a acheté près de 70 milliards $ de titres hypothécaires des banques). Les banques ont véritablement profité de la crise alors que les individus ont vu fondre la valeur de leurs actifs financiers.

La surfinancialisation des actifs a mis les banques dans une position de pouvoir exagéré car la faillite d'une banque aurait été désastreuse, et aurait forcé le gouvernement à les sauver.  On peut parler de surfinancialisation car sans intervention, le capital des banques aurait chuté au point d'être négatif, au point que des créditeurs ne seraient pas remboursés.  L'auteur Karl Denninger explique que si les banques n'ont pas le droit de prêter sans gage plus que leur capital, aucune intervention ne serait nécessaire en cas de faillite d'une banque.  Il faut savoir limiter les dégâts avant qu'ils n'aient lieu.

Le profit, le seul but des banques privées

Les banques, comme toute autre société par action, a comme but principal de satisfaire ses actionnaires en leur donnant un profit qui croît sans cesse année après année.  L'année passée, RBC à elle seule a fait un profit de 7,5 milliards $.  Ce résultat vient de plusieurs endroits, mais essentiellement revient à faire payer à ses clients plus d'intérêts que la banque n'en paye à ses créditeurs.  La dernière année financière de RBC aura probablement été une des meilleures car le marché immobilier canadien a atteint un sommet avant que les règles hypothécaires aient été changé en juillet pour revenir à ce qu'elles étaient en 2005.

La bulle immobilière des grandes villes canadiennes a atteint son sommet, et comme d'habitude, la première indication est que le nombre de ventes a chuté.  Puisque les achats d'habitation sont généralement faites à l'aide d'emprunts hypothécaires, la chute de ventes a un impact immédiat sur le revenu des banques.  Mais comme le salaire et le bonus (sans compter l'emploi) des dirigeants des banques dépend d'un profit qui croît environ 10% par an sans répit, il faut couper parmis les coûts.

La promesse faite par les firmes d'impartition telles qu'iGate aux banques est qu'elles économiseront en profitant du fait que les Indiens se font payer beaucoup moins que les Canadiens.  L'économie n'en est pas aussi automatique car iGate et ses pairs sont de grandes compagnies qui, elles aussi, doivent livrer un profit à leurs actionnaires.  J'ai lu certains estimés informels selon lesquels les économies sont, en fait, négligeables pour RBC, alors que l'économie canadienne sera perdante car les anciens employés, certains pas loin de la retraite, peineront à se trouver un emploi payant autant qu'avant.

Une solution

Il n'y a pas de solution facile à la question, mais j'en propose une quand même, comportant plusieurs volets.  D'une part il faut empêcher l'externalisation des emplois.  D'autre part, il faut savoir limiter la puissance du secteur bancaire.
  1. Le gouvernement fédéral a la juridiction d'empêcher que les données des consommateurs des banques se retrouvent à l'extérieur du pays.  Cela empêcherait l'externalisation d'emplois pour qui bien des Canadiens serait qualifiés et disponibles.
  2. La Banque du Canada devrait avoir le mandat de garder l'inflation des prix à 0%, afin que les gens puissent économiser en argent comptant s'ils le veulent, au lieu de devoir investir dans des instruments financiers à risque par le biais d'institutions financières simplement pour éviter de perdre du pouvoir d'achat.
  3. Les institutions financières ne devraient plus avoir le droit d'étendre du crédit sans actif à l'appui.  Les cartes de crédit ne seraient donc plus permises, par exemple.
  4. Établissement d'une banque fédérale: le gouvernement fédéral devrait établir une institution bancaire offrant des services bancaires de base sans frais, et avec une charte bien définie; par exemple, elle ne pourrait investir que dans des obligations de gouvernements, et avec priorité celles du gouvernement fédéral; elle ne pourrait pas avoir le droit d'émettre d'obligation; etc.
  5. Limiter les institutions financières privées dans leur capacité de créer de la monnaie: implanter 100% monnaie.  Les sociétés privées ne pourraient donc plus avoir plus de contrôle sur les dépenses du gouvernement que le gouvernement lui-même tel qu'élu.

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